... mais je ne le ferai pas car en effet je me suis régalée, en effet j'ai été sous le charme du timbre, de l'engagement et de la musicalité de la soprano.

S'il me fallait trouver quelconque critique qui donnerait quelque crédibilité à la dithyrambe en contrepoint, je vous dirais que, comme d'habitude, le premier air était non pas raté mais nettement moins bon que le reste. Je ne comprends pas pourquoi Natalie Dessay s'obstine à chanter un « vrai » air en ses débuts de récital : envahie par le trac, crispée, sa première apparition sur scène manquait d'assurance. Dans ces conditions, choisir le « Boléro d'Elena », des Vêpres siciliennes me semble un choix curieux : Verdi n'est sûrement pas le répertoire où elle est le plus chez elle, et ce boléro n'est pas le plus facile qui soit pour une entrée dans le répertoire verdien.

Sans aller jusqu'à suggérer « Au clair de la lune » en guise d'entrée en matière, et sans être à même de suggérer par quoi elle devrait commencer[1], si quelqu'un de mes lecteurs pouvait émettre une théorie sur les raisons probables de son choix, ça m'éclairerait peut-être.

Hormis ce détail, car le « ratage » était très relatif, Natalie Dessay, portée, couvée, enlacée par un Evelino Pidò aux petits soins, nous a offert un récital 100% italien à même de faire taire les croque-morts compulsifs. Et c'est bien. Au-delà du bonheur direct apporté par la chanteuse, celui, différé, de la grande claque dans la gueule de ceux qui attendent la chute pour beugler un « je vous l'avais bien dit, elle est foutue » est de ceux dont je me suis délectée.

Le programme semblait tout spécialement concocté pour une lente montée vers l'acmé du/de la fan en délire : après le Verdi dont je viens de parler, Bellini[2] conclut la première mi-temps en nous laissant dans l'état vaporeux créé par des passages lents quasi hypnotiques. Et rassurés quant à l'état de la voix de notre anti-diva : elle a récupéré sa voix et gagné des graves amples et bien timbrés.

Après un entracte ou je m'assure auprès d'Alexia et d'autres amis rencontrés devant le théâtre que l'amour ne m'aveugle pas et que « Oualala, qu'est-ce que c'est beau ! » est un avis partagé par plus objectifs que moi, nous reprenons place pour une deuxième partie toute dévolue à Donizetti et sa Lucia di Lammermoor.[3] Version italienne, attendue par le public parisien car jusqu'alors Natalie Dessay n'avait interprété à Paris que la version française.

Natalie a quitté les talons aiguilles assortis à la robe rouge qu'elle porte pour ce récital. C'est pieds nus qu'elle arrive sur scène pour interpréter Lucia, pardon : pour être Lucia, avec cette capacité incroyable qu'elle a de rendre au récital une dimension théâtrale trop souvent omise ou peu traitée par les chanteurs lyriques dans ce type d'exercice. Avant qu'elle émette la première note, le regard est déjà perdu, égaré, le son de l'harmonica de verre me fait penser qu'il est bien dommage que la plupart des productions de Lucia emploient la flûte traversière pour le duo chanteuse/instrument.[4]

Une interprétation moins folle-à-lier que celle qu'elle donna à Lyon (passée plusieurs fois à la télévision) dans la version française, mais qui gagne en subtilité et en « resserrement ». On est dans la tragédie plus que dans la perte de pédales, en cela l'interprétation de jeudi se rapproche sensiblement - par son éclairage, pas par la voix ! - de celle qui me bouleverse tant à chaque écoute, par la Callas herself. Subjugué, cloué dans son fauteuil, le public retient son souffle jusqu'à l'ultime note puis éclate en applaudissements et cris d'admiration, la plupart debout. Evelino Pidò embrasse la chanteuse encore hagarde de longues secondes qui s'est blottie dans ses bras, avant qu'elle retrouve la terre ferme pour les saluts. Elle est heureuse, et nous donc !

On applaudit, on la rappelle : on voudrait à la fois rester sur ces moments forts et en entendre encore. Deux rappels : un autre air, ravissant, de la Somnambule et un « Quando men vo »[5] qui semble avoir été écrit pour elle, ramènent à plus de légèreté avant que Natalie Dessay, d'un geste de la main, nous signale la fin définitive de ce récital.

Vivement le prochain... Je suis déjà en manque.

Notes

[1] Pure réthorique.

[2] «Eccomi in lieta », I Capuletti e i Montecchi puis « Oh ! se una volta » suivie de « Ah ! Non giunge uman pensiero », La Sonnambula.

[3] « Regnava del silenzio », en duo avec sa prof de chant, Christine Schweitzer, dont la voix porte mal hélas), et les trois parties de la Scène de la folie.

[4] Je crois que c'est essentiellement lié à la rareté des musiciens sachant jouer de cet instrument.

[5] Puccini, La Bohême.