Le 2 janvier 2001, mes collègues et moi arrosons d'une bouteille de cidre l'entrée dans le vingt-et-unième siècle, vu qu'on n'est pas la moitié d'un con et que le vingt-et-unième siècle n'a pas commencé le 1er janvier 2000, non-non-non.

La fin de l'année 1999 et toute l'année 2000 je ne compte plus le nombre de discussions autour de ce grave sujet. Alors certes, c'est en effet en 2001 que commença le XXIe. Il m'est arrivé de prendre le temps de l'expliquer si on me le demandait ou d'en plaisanter avec des fêtards qui le savaient bien mais pour lesquels toutes occasions sont bonnes y compris le doublé 2000&2001, mais j'ai soupé des regards condescendants de ceux qui savaient à l'égard des pauvres incultes éblouis par le nombre de zéros. Je n'aime pas beaucoup non plus qu'on reprenne les gens sur leur orthographe ou sur l'emploi erronné (hi hi) d'alternative, de coupe sombre et autres autant pour moi[1] Enfin c'est comme le reste, ça dépend de quand comment et à qui.

Face à un prétentieux, c'est plutôt jouissif. Je me souviens de Fûûlion il y a deux ans mouchant un fat au restaurant à Lyon. Le type nous gavait de son professorat à l'université, tapotait sur l'épaule de Fûûlion pour la féliciter d'acquérir quelques bases culturelles en faisant son stage à l'opéra, nous a traînés dans un restaurant à 30 ou 40 euros la tête de pioche sans se soucier de savoir si nous pouvions débourser une telle somme. Malgré son peu d'engouement pour le personnage et quoique très occupée à un rapport d'expérience concernant les kebbabs avec un fin gourmet ma fille, invitée à raconter sa journée, s'enthousiasmait et se pâmait pour Chabrier. « Chabrier ? C'est qui ? », l'interrogea notre homme, prêt à lui enjoindre de ne pas parler de ses tuteurs de stage en omettant d'utiliser leur titre de civilité. « Tu ne sais pas qui est Chabrier ? Houlala, mais tu es complètement inculte alors ?! » se prit le gars dans les gencives, ce qui le tint prudemment éloigné de la donzelle pour le reste de la soirée.

Voué alors ça j'aime bien :) Ce que j'aime moins c'est que souvent ces corrections sont hors sujet (le nombre de fois où j'ai lu quelqu'un exprimant une opinion contraire se faire rembarrer sur une faute d'orthographe ou de syntaxe...) et paralysantes.[2] Je ne me soucie des fautes des autres que lorsque ma compréhension en est gênée ou quand l'écart entre la prétention du locuteur et la faiblesse de son langage mérite d'être relevé.

Je veux dire : je ne m'en soucie guère en dehors des heures de travail.

Depuis l'enfance, j'avais ce qu'on appelle une bonne orthographe spontanée. Rien que sur cette expression il y en aurait des kilomètres à écrire car le moins qu'on puisse dire c'est que l'orthographe est tout sauf spontannée (ho ho) mais bref. Histoire d'apporter ma pierre à la Révolution en marche, on m'assigna la tâche de relire les articles de notre journal. Je trouvai ça follement ludique ; ça m'amusait beaucoup de débusquer les coquilles, genre Sherlock Holmes voyez. Et puis une fois le bac en poche il me tardait de gagner ma vie et d'être autonome (les moins de 20 30 ans n'ont pas idée de la valeur que ma génération accordait à ce mot !) J'ai donc cherché comment joindre l'utile à l'agréable et c'est ainsi que débuta ma carrière d'orthommerdante. Dans l'édition d'abord, en presse ensuite, dans une vénérable institution aujourd'hui.

Ayant rompu tout contact direct avec mon père depuis la fin de l'année de la première jusque deux ou trois ans plus tard, nous fumes aussi surpris l'un que l'autre d'apprendre lui que j'étais correctrice, moi qu'il l'avait été lui-même de 1937 à 1939. Et si je vous disais que c'est dans l'entreprise même où je gagne mon pain aujourd'hui qu'il travailla le plus souvent durant sa brève incursion dans ce métier...

Je corrige les fautes là où mon père qui fauta avec ma mère en fit autant auparavant... Ce que c'est que le destin ma bonne dame.

Notes

[1] J'en profite si je ne l'ai déjà fait pour vous recommander chaudement la lecture de cette page.

[2] Mes enfants ont eu la chance de fréquenter une école primaire ouverte aux contributions parentales (ou plutôt c'est moi qui ai eu de la chance !). Je me suis ainsi proposée pour animer quelques ateliers d'écriture. A chaque début d'année, les enfants réunis dans la classe s'inquiétaient : « Vaut mieux pas que je vienne m'dame, je fais plein de fautes d'orthographe. » Et chaque début d'année je disais que ça n'avait aucune importance, qu'on ne s'en occuperait pas. En réalité, pour faire des acrostiches ou des méthodes S + 7, on s'en occupe bien un peu beaucoup, mais on ne corrige pas des fautes et ça change la donne, et ceux qui n'osaient pas écrire s'y lancent sans appréhension.